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Salaire des camionneurs-propriétaires : Comparer des pommes et des oranges

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Il est plutôt rare que je lise un article de la presse généraliste ou que j’écoute un reportage télé ou radio sur l’industrie du camionnage sans m’étonner de certaines erreurs de faits ou distorsion de la réalité provoquées par une méconnaissance de l’industrie.

Et souvent, ces erreurs donnent une image négative de l’industrie ou de ses artisans. À leur décharge, les journalistes généralistes ont rarement le temps de faire des recherches approfondies ou de communiquer avec des intervenants crédibles avant de pondre leur article. Toutefois, certains cas sont tellement évidents qu’ils en sont déplorables.

C’est le cas de l’article du Journal de Montréal titré « Des chauffeurs mieux payés que des avocats ». Les réseaux sociaux ne dérougissent pas ce matin, pour dénoncer cet article. Et avec raison. L’article en question affirme qu’un camionneur-propriétaire gagne en moyenne le double d’un avocat junior, et trois fois plus qu’un comptable agréé de premier échelon.

Tiré du palmarès du site de recherche d’emplois Indeed, l’article affirme que « les camionneurs-propriétaires arrivent en première position des emplois les plus payant ne nécessitant pas de diplôme universitaire, avec un salaire annuel moyen de 144 969$. »

Cet article, tout comme le palmarès dont il est tiré, se garde malheureusement de faire la distinction entre « revenus d’entreprises » et « salaire ». En effet, la plupart des autres emplois au palmarès sont des emplois salariés, et non un travail effectué en sous-traitance par une entreprise ou un travailleur autonome, ce que sont les camionneurs-propriétaires. Parmi les 10 emplois mentionnés au palmarès, tous les autres sont des postes salariés, sauf peut-être (et le mot clé est « peut-être » ceux de courtier immobilier et d’électricien. Mais ici, le palmarès ne nous permet pas de faire la distinction entre courtier immobilier à l’embauche d’une agence ou travailleur autonome, pas plus que celle entre un électricien salarié ou un entrepreneur électricien.

Mais dans le cas d’un chef de l’entretien, dont le salaire moyen se situerait selon l’étude à 83 184$, ou celui d’un directeur des ventes, secteur automobile à 78 994$, il s’agit clairement d’un emploi salarié, donc de salaire brut sans dépense autre que de se rendre au boulot le matin.

Dans le cas d’un camionneur-propriétaire, est-il nécessaire d’énumérer tous les postes de dépenses dont il faut tenir compte pour gagner ce revenu annuel de près de 150 000$? Amortissement d’un camion dont le coût d’achat oscille autour des 150 000$, frais de carburant de milliers de dollars par mois, assurances, permis, frais juridiques et comptables pour l’entreprise, etc.

Selon le plus récent Diagnostic professionnel et État du marché du travail de Camo-route, publié en mars dernier, seulement 14% des chauffeurs de camion sont travailleur autonome (camionneur-propriétaire), contre 86% qui oeuvrent à titre d’employés dans une entreprise. Or, pour ces derniers, le rapport précise ce qui suit :

« Au cours des dix dernières années, le salaire a augmenté moins rapidement chez les camionneurs que dans l’ensemble du Québec ou que chez les professions du même genre ou du même niveau de compétence. »

Selon le même diagnostic de Camo-route, le salaire médian des camionneurs se situerait à 18.00$/heure, comparativement à 20.00$/heure pour l’ensemble des professions. Or, pour arriver à engranger 150 000$ en une année, à ce taux horaire, un camionneur devrait travailler 8 333 heures, ou 160 heures par semaine… sur les 168 que compte une semaine!!!

Il est d’une évidence crasse que cette étude de Indeed, qui compare des pommes et des oranges, n’aurait pas dû se retrouver ainsi dans les médias. Il est aussi évident que la journaliste aurait pu (aurait dû) saisir la différence entre un camionneur-propriétaire (entrepreneur) et un directeur des ventes automobiles (employé salarié). L’erreur initial vient de Indeed, qui qualifie les revenus d’entreprise du camionneur-propriétaire de « salaire annuel moyen », mais cette erreur aurait dû faire l’objet d’une vérification auprès de sources sérieuses avant la publication d’un article qui, à sa face même, est erroné.

J’aime bien mes collègues des médias généralistes. Lorsqu’ils en ont le temps et l’occasion, et lorsqu’ils possèdent bien l’information relativement à la politique, l’économie, ou autre sujet d’ordre général, ils sont une source importante pour nous garder bien aux faits de l’actualité. Mais de grâce, lorsque vous parlez d’un sujet plus spécialisé, surveillez vos sources, et allez justement à la source. Ce ne sont pas les experts et organisations sérieuses qui manquent dans le domaine du camionnage.

par Claude Boucher
Rédacteur en chef de Transport Magazine

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